Une remontada pour y croire encore
Expérience traumatisante pour nous tous, la remontada et le scénario abominable que recouvre ce mot, n’a pas fini de hanter l’histoire européenne du PSG. Elle continuera encore longtemps à accompagner le club et ses supporters, et ce n’est pas si mal.
S’il est une constante, une évidence dans le sport c’est bien l’alternance entre victoire et défaite, entre performance et échec. Ces deux extrêmes se succèdent, se nourrissent l’un l’autre, et tracent un chemin sinueux qui, parfois, mène au succès.
Dernier exemple en date, la victoire des français en Coupe du Monde a succédé à l’amère défaite face au Portugal, il y a deux ans en finale de l’Euro. La performance des bleus cet été fut analysée comme celle d’un groupe soudé par un sentiment de revanche et par le refus de revivre un moment aussi douloureux. Des ressorts très classiques et pourtant essentiels, que bon nombre d’équipes avant eux avaient utilisés. La défaite dans une compétition importante a donc pour le footballeur une raison d’être assez objective qui lui permet sinon de l’accepter, au moins de la dépasser. Elle fait partie du métier. Elle peut servir de point de départ, d’étape ou de fin, mais elle est presque toujours signifiante. Avec ce paradoxe pervers que plus elle est cruelle (cruauté qui dépend de son scénario et de l’importance du match), plus elle est potentiellement utile. C’est donc la défaite douloureuse qui est la plus intéressante, la défaite cruelle, celle qui laisse des traces et qui fait pleurer.
Pour les joueurs le mécanisme est compréhensible, mais à nous supporters, que nous apportent des défaites aussi cruelles qu’une remontada ? Peut-il en rester autre chose que la tristesse et l’amertume ?
Pas de revanche, ni d’oubli
Face à de telles déceptions les joueurs et les supporters ne sont pas égaux. Le footballeur peut reporter son attention, ses efforts sur la compétition ou le match suivant et transformer la frustration en énergie positive et créatrice : c’est la fameuse phrase de Michael Jordan « j’ai échoué, échoué et encore échoué (…) voilà pourquoi j’ai fini par gagner ».
Le supporter, lui, ne se sent jamais plus impuissant que dans les moments tragiques. Réduit à sa condition de spectateur, de victime absolue des événements, il sait que pour lui il n’y aura pas revanche. La remontada, parce qu’elle a été synonyme d’élimination humiliante, ne sera effacée par aucune victoire.
Le Milan a beau avoir gagné en 2007 contre Liverpool en finale de la Ligue des Champions, personne n’a oublié leur défaite renversante deux ans plus tôt au même stade de la compétition face au même adversaire ; la victoire à l’Euro 84 n’a pas non plus rendu Séville 82 moins douloureux pour les Français. Toutes les victoires du Milan face à Liverpool ou des Bleus face aux Allemands ne serviront jamais de revanche aux supporters car les émotions du moment resteront à jamais en eux.
Pour Marcelo Bielsa le scénario, la dramaturgie d’un match et la manière de le jouer sont les clés quand il s’agit d’expliquer les émotions : « Quand une personne n’aime que la victoire, sans considérer les moyens, la sensibilité disparaît. ». Unai Emery ne dit pas autre chose quand il répète que « le football est un sentiment ». Loin de s’arrêter à l’émotion étriquée que procure la lecture d’un score, le foot procure un sentiment riche, multiple, complexe que doivent ressentir supporters et joueurs. Cette sensibilité, ce sentiment, se manifeste cependant assez différemment selon le résultat : alors que la victoire pousse à se projeter vers la prochaine échéance, la déception nous amène à ressasser chaque fait de jeu encore et encore. Certains, comme le ko de Battiston en 1982, deviennent ainsi des souvenirs aussi cruels qu’impérissables. Contrairement aux footballeurs qui veulent « tourner la page » pour « se projeter sur le prochain match », nous supporters n’avons pas d’autres choix que de laisser à la tristesse et à la déception la place qu’elles méritent. Et il faut bien reconnaître que, dans la vie d’un amateur de foot, la déception a une place prépondérante… Pourquoi le premier souvenir footballistique est-il si souvent une défaite ? Pourquoi se souvient-on toujours si bien des soirs où l’on est allé se coucher en pleurant ?
La douleur de la défaite, la mémoire et l’âme du supporter
« L’art n’est pas seul à mettre du charme et du mystère dans les choses les plus insignifiantes. Le même pouvoir est dévolu aussi à la douleur. »
Marcel Proust
Oui, la douleur d’une défaite a cette faculté extraordinaire de graver dans nos mémoires des moments qui deviennent uniques. Aucun supporter parisien n’a oublié cette soirée de déroute au Camp Nou. Comme une musique peut correspondre pour toujours à une époque de notre vie, la remontada a fixée en nous des sentiments, des impressions qui ressurgissent sans crier gare. Et l’intensité de la rage, de la lassitude, de la tristesse qui nous affectent encore parfois plus d’un an après ce match témoigne de leur force. Quand en lisant cet article ou en regardant un match du PSG vous reviennent en mémoire des moments de ce terrible match alors le temps que vous croyiez perdu se retrouve et le présent prend une saveur nouvelle. « Un bouquet de sensations dans le présent et la vision d’un événement ou d’une sensation dans le passé, voilà où la sensation et la mémoire se rejoignent, où le temps perdu se retrouve. » Vladimir Nabokov, résume parfaitement la philosophie proustienne, dont l’amateur de football expérimente si souvent la puissance.
Un exemple ? Si quand vous allez au Parc des Princes ou dans le bar où vous avez vécu la remontada vous ressentez, encore aujourd’hui, une émotion toujours renouvelée c’est parce que ces lieux, ces murs qui à d’autres paraitront froids, font instantanément ressurgir en vous des années de souvenirs et d’émotions. Ce sont ces souvenirs involontaires, réminiscences entre autres de cette terrible remontada, qui contribuent à donner aux matchs d’aujourd’hui la profondeur et le mystère que nous ressentons. Ils forgent continuellement notre âme de supporter en prenant des teintes différentes selon notre état d’esprit actuel. Ils nous permettent de nous confronter au supporter que nous étions alors et de prendre conscience de notre évolution. Enfin par le prisme de ces moments de mieux comprendre ce qu’est le PSG pour nous.
Alors n’écoutons pas ceux qui nous disent que c’est un match à oublier, ceux qui voit le football comme une suite de résultats que l’ont pourrait effacer ou surligner à notre convenance. Surtout n’oublions rien et continuons à y croire.