« L’existence de la Super League repose entre les mains des clubs, et des joueurs » affirme Vincent Chaudel
Le football européen s’apprête-t-il à vivre un des plus grands bouleversements de son Histoire ? Il semblerait bien que oui. Dimanche 18 avril, 12 clubs ont accepté l’accord de principe visant à mettre en place une Super League européenne qui détrônerait l’actuelle Champions League.
Un projet qui fait rêver autant qu’il fait grincer des dents. En effet, parmi les 20 participants, 15 auraient droit à une place permanente attribuée sur des critères exclusivement financiers et non sportifs, seuls 5 autres devraient se qualifier chaque année.
Il n’en fallait pas plus pour s’attirer les foudres de l’UEFA qui menace de lourdes sanctions les participants, telles que l’exclusion de l’ensemble des compétitions qu’elle organise, aussi bien en clubs qu’en équipe nationales.
Afin de mieux comprendre les enjeux ainsi que les conséquences de la mise en place de cette Super League, Vincent Chaudel, expert de l’économie du football et co-fondateur de l’Observatoire du Sport Business, a accepté de répondre aux questions de Paris United.
Cela fait désormais un moment que l’on parle de ce projet de Super League, qui a pour objectif, rappelons-le, de concurrencer la Champions League. Désormais, le stade de la rumeur est dépassé : douze clubs ont officialisé leur intention d’y participer. Pour quelles raisons ont-ils pris cette décision, et surtout, pourquoi maintenant ?
La décision a été prise dimanche 18 avril dans la soirée, car c’est précisément aujourd’hui, lundi 19 avril, que l’UEFA officialise la nouvelle formule de la Champions League. C’était donc la limite d’une fenêtre de tir pour annoncer un projet concurrent, mais le contexte économique et sanitaire a également joué.
Cela fait un peu plus d’un an que les clubs sont privés de public, et par conséquent, de 15% à 30% de leurs revenus. La Super League promet des sommes bien plus intéressantes que la Champions League, le contexte est donc idéal pour proposer un nouveau projet lucratif.
Les clubs participant à cette Super League risque d’être exclus de la prochaine Champions League, alors qu’il s’agit presque exclusivement de candidats au titre, sans lesquels la compétition n’aurait que peu d’intérêt. L’UEFA en est bien entendu consciente, joue-t-elle à quitte à ou double ?
Cette menace est un pistolet à une balle, ça passe ou ça casse. Si jamais ça passe, les clubs et/ou les joueurs n’y participeront pas, et la Champions League sera alors sauvée, mais le risque est élevé. Toutefois, même si l’UEFA a raison de menacer les participants, elle a tout intérêt à discuter, à l’abri des regards, de la question de la redistribution des bénéfices avec les clubs, car c’est le principal élément déclencheur.
En résumé, la Champions League est la compétition générant le plus d’argent dans le monde du football. L’UEFA le redistribue, mais en garde une grande partie pour ses membres, à savoir les différentes fédérations européennes, et non les clubs.
Pourtant, c’est des clubs que provient la création de valeur, pas des ligues alors que celles-ci reçoivent plus d’argent. Ils souhaitent juste une meilleure répartition des bénéfices, ce qui est légitime
Les clubs fondateurs de cette Super League sont également les plus grands vainqueurs de l’Histoire de la Champions League. N’est-il pas paradoxal de les voir ainsi, indirectement, rejeter la compétition qui a fait d’eux ce qu’ils sont ? Que doit-on comprendre ?
Les masques tombent.
Pendant des années, les nouveaux riches : le PSG, Monaco, Manchester City, ont été pointés du doigt. On les accusait d’avoir pour objectif de nuire au football historique, de vouloir renverser la table, alors qu’au final ce sont justement les clubs historiques qui l’ont fait. Manchester City est le dernier club anglais à avoir donné son accord afin de participer à la Super League.
Au final, on s’est trompé de cible. Si jamais l’UEFA et la FIFA s’en sortent, ce sera en grande partie grâce à la fidélité du PSG et du Bayen Munich, et non pas aux amis de Javier Tebas.
Dans le football moderne, le lien entre moyens financiers et résultats sportifs n’est plus à démontrer. L’existence d’une telle compétition où justement, tous les participants disposeraient d’un budget assez similaire ne permettrait-il pas de proposer au public davantage de grosses affiches, tout en maintenant un niveau de jeu plus équilibré qu’il ne l’est actuellement ?
Bien sûr que si. Tous ceux qui prédisent l’échec de ce projet doivent faire attention, si jamais il venait à exister, il marcherait très probablement. Si l’on veut une grande compétition, il faut à la fois des grands clubs et des grands joueurs. Les clubs y seront, mais qu’en sera-t-il des joueurs ?
Certains pourraient être sensibles à la menace d’être exclus de la prochaine Coupe du Monde, et leur volonté de ne pas y participer, de continuer à évoluer dans des clubs ne participant pas à la Super League, déterminera l’issue du débat.
A l’origine, la FIFA semblait soutenir ce projet de Super League, alors que de son côté l’UEFA y a toujours été clairement opposée, et prônait une réforme de la Champions League. Il y a clairement un bras de fer entre les deux institutions, pour quelles raisons ?
Pour savoir qui sera le patron. Au niveau structurel, la FIFA est en haut de la pyramide, mais ne dispose que de bien peu de compétitions : la Coupe du monde, et la Coupe du monde des clubs essentiellement, mais la deuxième ne représente que quelques matchs et n’a pas de grand impact médiatique.
Ce qui génère de l’argent, ce sont les compétitions de clubs. La FIFA peut, et veut aller sur ce terrain via une Ligue Mondiale pour cette raison. Ainsi, paradoxalement, les deux institutions se sont alignées afin de s’opposer au projet de Super League dans le but d’assurer leur pérennité, mais si elles s’en sortent, elles continueront de s’opposer l’une à l’autre par la suite.
D’ailleurs, quand on y regarde de plus près, ce projet repose pour l’instant sur 12 clubs fondateurs sélectionnés selon des critères financiers, et le président de la Super League ne serait autre que Florentino Pérez, également président du Real Madrid. Non seulement l’aspect sportif est relégué au second plan, mais il pourrait y avoir des conflits d’intérêts. Cela ne remet-il pas en cause la légitimité de la compétition ?
La légitimité de la compétition non. Toutefois, cela posera problème, et montre que l’on est davantage sur une intention de bras de fer qu’une organisation mature. Ce qui s’est passé hier n’est qu’une étape.
D’ailleurs, il s’agit d’un argument de plus afin de convaincre Mbappé de rester au PSG. Nous sommes dans une période d’incertitude encore plus forte, il y a des menaces de sanctions de la part de l’UEFA et de la FIFA qui planent au-dessus des 12 clubs fondateurs, telles qu’empêcher les joueurs de participer aux prochaines Coupes du monde.
Il s’agit donc là d’un argument suffisamment fort renforçant la position préférentielle du PSG dans les dossiers Neymar et Mbappé.
Comme nous l’avons compris, ce projet a pour objectif d’attirer les meilleurs clubs, néanmoins, le PSG et le Bayern Munich ont fait savoir qu’ils n’y adhéraient pas. Est-ce que cela pourrait leurs porter préjudice si jamais la Super League venait à devenir réalité, ou au contraire, est-ce bien joué de leur part ?
C’est très bien manœuvré de leur part. Le PSG et le Bayern Munich sont deux des plus grands clubs d’Europe, et la France ainsi que l’Allemagne représentent 150 millions de consommateurs.
Ainsi, si la Super League ne voit pas le jour, on se souviendra d’eux comme des grands clubs restés fidèles à l’UEFA ainsi qu’à la FIFA. Si au contraire, le projet voit le jour, ils seront bien évidemment rappelés.
Si jamais le projet venait à voir le jour. Qu’adviendrait-il de la Champions League ? Deviendrait-elle une sorte de C2, située entre l’Europa League et la Super League ? Ou peut-on craindre qu’à terme, celle-ci disparaisse en même temps que l’UEFA.
Elle risquerait fortement de disparaitre. Il est possible d’avoir pendant une ou deux saisons, deux compétitions concurrentes qui cohabitent, mais une hiérarchie va s’établir naturellement. Les diffuseurs financeront la compétition où l’on retrouve les grands joueurs, car c’est eux qui attirent le public.
Si jamais les 12 clubs fondateurs sont suspendus dans les jours à venir, qu’adviendra-t-il de la Champions League ? Le PSG pourrait-il la remporter par défaut ?
Non, aucune chance. Il y aura des conflits juridiques qui prendront un certain temps, et les sanctions ne visent que les compétitions à venir, pas celles qui se déroulent actuellement.
L’UEFA a voté son projet pour la saison 2024/2025, donc la Super League ne se fera probablement pas avant. Il n’y aura pas d’exclusion immédiate, on ne peut pas sanctionner les clubs par anticipation.
Finalement, que l’on y soit favorable ou non, on constate que ce projet de Super League bouleverserait totalement le football européen, mais y-a-t-il une réelle chance qu’il voit le jour ?
A l’heure actuelle, on ne peut être sûrs que d’une seule chose : la Champions League telle qu’on la connait disparaitra d’ici 2-3 ans, ce qui est dommage, car personnellement je trouve qu’il s’agit d’une très bonne formule, celle du Final 8 notamment, permettait d’alléger le calendrier.
Il n’y a donc qu’une seule certitude, soit on va vers la nouvelle formule de la Champions League, qui, soyons francs, est assez alambiquée, soit vers une Super League, dont l’existence repose entre les mains des clubs, et des joueurs, car c’est eux que l’on veut voir, les institutions ne sont finalement que secondaires aux yeux du grand public.
Je suis conscient que cela puisse choquer les amoureux du sport, mais c’est la réalité du football d’aujourd’hui. Ce ne sont ni les passionnés, ni les fans de longue date qui pèseront le plus, mais bel et bien le grand public, qui décidera quelle compétition il souhaite regarder.
Paris United remercie Vincent Chaudel d’avoir accepté de répondre à nos questions.
Entretien réalisé par Mathieu Sauvajot.