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Les compromis d’Unai Emery

C’était le 21 août dernier sur le plateau de Skysports*, Gary Neville et Jamie Carragher perdaient un peu de leur flegme britannique lors d’un débat enflammé : faut-il qu’Unai Emery, nouveau manager d’Arsenal, s’adapte à ses joueurs ? Neville, énervé et visiblement marqué par son échec en tant que coach du Valence CF, finit par lâcher : « la dernière chose à faire pour Unai Emery, dans ces premiers temps, serait de perdre le contrôle du vestiaire en s’adaptant (aux joueurs, ndlr) et en dérogeant à ses principes. » Pour nous parisiens, nul doute que les préceptes de Gary Neville résonnent bien étrangement tant le passage du coach basque au PSG fut marqué par l’impératif du compromis permanent.

 

Un héritage lourd à porter 

Unai Emery débarque officiellement à Paris le 28 juin 2016, il succède à Laurent Blanc limogé après deux quadruplés consécutifs sur la scène nationale. Le français, fraichement prolongé et conforté à son poste, ne survivra pourtant pas à l’élimination du PSG face à Manchester City. Lui sont reprochés pêle-mêle une tactique défaillante, un jeu stéréotypé et lent, un manque de grinta et des joueurs trop peu préparés mentalement à l’exigence d’un tel match.

Comme souvent dans la capitale, on veut faire vite et combler toutes les failles d’un coup. Pour cela un nom s’impose rapidement : Unai Emery. Auréolé de trois titres consécutifs en Europa League, performance remarquable réalisée avec un FC Séville qui n’avait ni le budget ni les infrastructures pour espérer de tels succès, le basque présente toutes les qualités. C’est un vainqueur, un gagneur, un homme qui de joueur anxieux qu’il était, s’est métamorphosé en un entraineur méticuleux, passionné et travailleur. Surtout travailleur. De Lorca à Séville en passant par Valence et Almeria, Emery s’est forgé une solide réputation qui lui permet à 45 ans de toucher au top niveau européen à Paris.

L’équipe de la capitale qui au même moment dit adieu à sa première grande star, l’homme qui lui a fait franchir un palier en terme d’état d’esprit et d’exigence : Zlatan Ibrahimovic. Certes il a peiné à être décisif dans les grands matchs de Ligue des Champions mais son charisme et sa volonté d’excellence ont grandement contribué à la croissance vitesse grand V du club parisien. Pour le remplacer, Neymar fut longtemps espéré par Olivier Létang, mais ce sont finalement Ben Arfa, Jese, Krychowiak, Meunier et Lo Celso qui seront les têtes d’affiche du recrutement parisien de l’été 2016. Vous avez dit décevant ?

 

2016/2018, une tragédie à l’espagnol

Les bons débuts d’Emery sont vite ternis par une défaite sur le rocher face à l’ASM. David Luiz, sur le point de quitter le club, est aligné, Verratti joue dans une position inhabituellement haute… le Paris d’Emery se cherche. Normal au bout de quelques semaines de travail ? Au moment de débriefer le match sur le plateau de Canal+, la réponse est clairement « non ». Paul Le Guen, ancien du club et consultant maison, critique violemment le coach espagnol : « si cela avait été fait par un entraîneur français, il aurait eu quelques reproches… » Le ton est donné. Emery, l’étranger qui a pris la place de Laurent Blanc et qui dans un mauvais français refuse de faire jouer Ben Arfa, ne sera pas épargné par les médias français. Le premier acte est joué, les protagonistes sont maintenant bien dans leurs rôles.

Le 28 septembre, Paris se déplace à Toulouse. Outre la défaite face à l’ASM, Paris a buté sur les deux principaux obstacles qui se dressaient sur sa route à domicile : nul face à Arsenal en C1 et contre Saint-Etienne en L1. Les deux victoires faciles obtenues depuis ne changent rien, le climat est lourd. Face au TFC, l’équipe déjoue, les erreurs individuelles se multiplient. Les locaux en profitent et s’imposent 2-0. Cette contre-performance entraine des discussions entre le staff et des joueurs qui décidément ne se font pas au style de leur nouveau coach. Emery écoute, discute, argumente. Comme dans tous les clubs où il est passé, le basque est ouvert à l’échange et même à la contradiction. Le vestiaire veut le retour au jeu de possession qui lui semble plus conforme à ses qualités. « Nous ne sommes pas une équipe de contre ! » clament les joueurs. Le basque encaisse et rétorque mais, contrairement à son habitude, ne parvient pas à emporter l’adhésion des joueurs. Il doit s’adapter. Le deuxième acte a livré son élément perturbateur.

Le 14 février 2017 c’est « le grand soir ». Ces quelques mots qui barrent la Une de L’Equipe ce matin-là révèlent l’importance de ce match pour un club qui cherche encore à se donner en Europe une épaisseur plus importante que celle de son portefeuille, si bien garni soit-il. Peu importe l’absence du capitaine Thiago Silva et celle d’une grande star depuis le départ d’Ibra, à 20h45 Monsieur Marciniak donne le coup d’envoi d’un match qui restera dans l’histoire du club. Soudain le puzzle prend forme, l’équipe presse, courre, harcèle et se projette avec vitesse et simplicité. Le jeu « à la Emery » est là, devant nous, grâce à une formation parfaitement organisée et à des joueurs qui, transcendés par l’événement, récitent leur football. Di Maria par deux fois, Draxler puis Cavani font couler le Barça de la MSN et offre au club parisien une de ses plus belles nuits européennes. A la fin du match les observateurs sont sous le charme et l’on se dit que  le mandat du coach basque a définitivement basculé du bon coté.

 

Après ce troisième acte plein d’espoir vient le quatrième qui scelle le destin des personnages

Huitième de finale retour de Ligue des Champions : FC Barcelone 6 – Paris Saint-Germain 1. Le PSG est éliminé, Barcelone qualifié. Voilà, faut-il vraiment aller plus loin que cette présentation laconique ? Qui a encore besoin de détails sur une contre-performance tant disséquée ? Que peut-on ajouter sinon que les principaux regrets exprimés par Unai Emery concerneront le non-remplacement de Thiago Silva (de retour après sa suspension du match aller) par Kimpembe. Un capitaine qui, dans la tempête, reculait malgré les injonctions contraires de son coach.

Mais pourquoi Emery n’a-t-il pas suivi sa vision, son envie plutôt que des considérations managériales ? Qu’a t-on fait au basque instinctif, capable de modifier ses plans selon l’ambiance ressentie une heure avant le coup d’envoi d’un match, pour qu’à Paris il paraisse ainsi corseter dans son costume ? Il s’adapte encore et toujours. Sans se laisser abattre toutefois car l’équipe réagit et, bien qu’elle soit forcée de s’incliner en championnat face à l’AS Monaco, réalise une belle fin de saison en reportant les deux coupes nationales. Elle offre même parfois, comme en finale de la Coupe de la Ligue face à l’ASM (4-1)- des performances séduisantes.

Malgré ce sursaut, la saison restera moyenne et laissera le club traumatisé par cette funeste « remontada ».

La gifle sportive reçue à Barcelone et un contexte géopolitique difficile pour le Qatar décideront les hautes sphères du club à frapper deux grands coups. Neymar, déjà approché un an plus tôt débarque bel et bien de Barcelone, suivi par la jeune star française Kylian Mbappé en provenance du Rocher. Il fallait renverser la table, le PSG l’a fait. La fusée (re)décolle et, pour ce dernier acte, on se remet à y croire.

La première partie de la saison 2017/2018 est survolée. Avec 50 points pris en championnat à mi-parcours et un bilan de 16 victoires pour une seule défaite Paris a relégué Monaco, son dauphin, à 9 points à la trêve. En Ligue des Champions le PSG écrase tout lors des 5 premières journées avec 24 buts inscrits (25 au total, record de la compétition en phase de groupes) et notamment une victoire 3-0 sur le Bayern Munich au Parc des Princes. Mais au retour, sur les terres du géant allemand, le PSG rapidement mené deux à zéro semble de nouveau en difficulté quand l’adversaire rend les coups. Le capitaine, Thiago Silva, sort sur blessure peu après que le PSG a concédé le troisième but sur lequel il semble déjà touché. Par ses absences, ses sorties ou ses retours, le défenseur brésilien est décidément toujours bien étrangement lié aux échecs de l’ère Emery.

Face au Real Madrid en huitième de finale, tout semble possible. Les espagnols paraissent essoufflés après deux saisons exceptionnelles, tandis que les parisiens ont un élan redoutable, une attaque de feu et un milieu renouvelé par l’apport du jeune Lo Celso qui s’impose depuis quelques semaines.

Pour ce match aller à Bernabeu Emery, décidé à ne pas renouveler les erreurs passées, écarte Thiago Silva pour associer Kimpembe à Marquinhos. Le Paris Saint-Germain est bien dans le match et, malgré le penalty concédé  en fin de première mi-temps, il tient un résultat favorable… jusqu’à la 83ième minute. Quelques instants de relâchement et deux buts marqués coup sur coup suffisent alors au Real pour transformer la bonne performance des visiteurs en un lourd handicap en vue de la qualification. Comme à Barcelone un an auparavant, le PSG a craqué.

Emery est à nouveau sous le feu des critiques pour ses changements inefficaces et son incapacité à répondre aux coups de boutoir tactique de Zidane. Non cette « personnalité » d’équipe qu’il a si souvent appelée de ses vœux n’est toujours pas là !

Le match retour confirmera, malgré l’investissement des supporters, la communication volontariste du club et les absences cumulées au coup d’envoi de Kroos et de Modric côté madrilène, que la marche est encore trop haute pour des Rouge et Bleu privés de Neymar. Une équipe sans âme, sans envie et sans tête, à l’image de Verratti expulsé peu après l’heure de jeu, est sortie sans gloire par un Real convalescent.

Nouvelle preuve de l’importance de cette compétition pour le club, rien, ni la fin de saison quasi parfaite, ni le remarquable quadruplé sur la scène nationale ne suffiront à combler le sentiment de vide et d’échec dû à cette élimination prématurée.

Fin amère d’une saison qui n’aura été que l’acte finale d’une pièce dans laquelle tout s’est vraiment joué un an plus tôt.

 

Emery, trop bonne pâte ?  

Pendant son mandat Unai Emery a fait évolué le jeu de Paris Saint-Germain vers plus de verticalité et de profondeur, Verratti ou Rabiot ont été poussés à s’aventurer plus prés du but adverse, un pressing plus intense fut mis en place par séquence et l’idée du 6 tournant ou encore la promotion de Lo Celso en titulaire sont à mettre au crédit d’Emery.

Mais est-ce suffisant pour un coach de ce calibre ? Certainement pas. Quel était le style de l’équipe sous ses ordres ? Cela reste flou. Quel est son héritage dans l’équipe actuelle ? Difficile à dire, même si certains joueurs (comme Kimpembe) ne cachent pas les progrès réalisés grâce à lui.

Les circonstances atténuantes sont nombreuses : lui qui travaillait étroitement avec Monchi à Séville a eu dans la capitale des directeurs sportifs inexistants ou hostiles ; un président qui a nui à son autorité en cédant aux désidérata des joueurs (Rabiot obtient de ne plus jouer 6) ; un recrutement défaillant lors de sa première saison ou encore l’absence d’un 6 de haut niveau pour remplacer Motta… la liste est longue et force est de constater que les évènements ont rarement été favorables à Unai Emery.

Pris dans la machine à laver parisienne, Unai Emery a donc choisi de s’adapter à l’environnement et à ses joueurs pour rester aux commandes et tenter, avec le temps, de faire triompher ses idées. Mais il a peut-être sous-estimé le risque que « les joueurs l’écrasent et pensent qu’ils peuvent le mener où ils le veulent » comme le suggérait Gary Neville sur Skysports. Surtout quand, comme lui, l’entraineur bénéficie de si peu d’appuis au sein du club et que la première saison marque si profondément (et négativement) les esprits. Le football va vite, certes, mais il y a des dynamiques difficiles à enrayer dans un club comme le Paris Saint-Germain.

Trop rarement en mesure de réellement habiter le rôle qu’il était censé jouer, l’espagnol a donc quitté la scène sans l’avoir vraiment occupée. Que l’on tienne le coach basque en haute estime comme de nombreux observateurs en Europe, ou pour une sorte d’imposteur comme beaucoup en France, les deux années d’Emery dans la capitale présentent un bilan soit trop faible, soit trop conforme à de maigres attentes.

 

* La vidéo du débat houleux entre Carragher et Neville :

Rédaction pour Paris United Lawrence Elvidge

affiche en tête Anass

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