Les anciens du PSGOeil du supporter

Javier Pastore, numéro 10

Le Paris Saint-Germain a laissé partir cet été un des chouchous du Parc des Princes, Javier Pastore. Malgré la tristesse, aucun supporter n’a crié au scandale. Tous s’accordaient sur le talent du joueur pourtant bien peu le jugeaient indispensable, il aurait pu être « tranquillement titulaire » mais c’était déjà beau de le voir sur le banc… Retour sur ce joueur paradoxal, unique, qui rendait à l’exceptionnel ses lettres de noblesse.

 

Il est parti pour de bon cette fois. Javier Pastore ne portera plus le maillot du Paris SG et ne sera plus chez lui au Parc des Princes… ni même à l’infirmerie du centre d’entraînement Ooredo diront les mauvaises langues. Et, reconnaissons-le, ils n’auront pas complètement tort.

Pastore, c’est 86 matchs disputés sur les 3 dernières saisons pour 11 buts et 21 passes décisives ; Di María, autre joueur offensif de l’effectif, affiche lui sur la même période un total de 135 matchs joués pour 50 buts marqués et 51 dernières passes. Le premier affiche une moyenne d’un geste décisif tous les 2,7 matchs tandis qu’El Fideo se montre décisif tous les 1,3 matchs. La comparaison peut se discuter, comme toujours, mais elle donne tout de même une idée du bilan statistique que l’on peut attendre d’un joueur offensif à Paris.

Ces chiffres ne sont certainement pas à la hauteur du talent d’El Flaco et n’expliquent pas l’attachement des supporters parisiens. Pas plus que ces matchs, de plus en plus fréquents, au cours desquels l’argentin semblait jouer sur un rythme différent du reste de l’équipe.

Pourtant à l’arrivée d’Unai Emery, le temps semblait venu pour lui de s’imposer, de devenir le 10 illuminant le 4-2-3-1 que voulait imposer l’espagnol. Mais les blessures puis le revirement tactique du basque douchèrent rapidement l’optimisme ambiant. Puis les arrivées de Neymar et Mbappé, à l’été 2017, le jetèrent dans une bataille qu’il savait perdue d’avance : « le dernier entraîneur voulait que je joue à gauche. Je ne peux pas concurrencer Neymar, c’est un phénomène » déclarait El Flaco peu après son départ du PSG.

Unai Emery, qui avait réussi à relancer un créateur comme Ever Banega à Séville, a donc échoué avec l’artiste Javier Pastore. Mais cet échec est d’abord celui du joueur qui fut trop rarement en mesure de démontrer son affirmation de septembre 2015 : « Si je suis bien physiquement, je suis tranquillement dans le onze. » Il nous a lui même trop souvent privé de son talent et de l’élégance d’un style de jeu en voie d’extinction.

 

Un football suranné

 Car ne nous voilons pas la face, l’époque des Pastore, des Riquelme, des 10 en général est révolue. Leur temps est passé au sens figuré comme au sens propre. Le foot d’aujourd’hui c’est pressing, contre pressing, récupération haute, transition, passes verticales, courses à haute intensité, duels, finition et rideau. Ou plutôt bloc.

Un jeu qui fuse du 8 au 7 ou au 9 sans passer par le 10 n’est pas propice à Pastore. Les regista (meneurs de jeu qui évoluent dans une position très reculée) ont pris le relais mais un cran plus bas. Cela signifie moins de prises de risques mais aussi moins d’éclairs et… moins de Pass’dorées. C’est la prise de pouvoir des dribbleurs, de l’ailier rapide alliant deux qualités fondamentales : puissance et vitesse. Pas les points forts d’un numéro 10 a priori.

Notre déception n’est donc pas limitée à la frêle silhouette d’El Flaco. Elle est aussi due au sentiment d’avoir possédé quelque chose d’unique et de ne pas avoir pu en profiter… Par son jeu fait de passes que personne d’autre n’a vues, de gestes qu’il est le seul à faire et de faiblesses assumées, Pastore est un joueur qu’on ne voit plus. Il est un de ces rares joueurs inimitables : un style peut-être contrefait, un geste reproduit, mais l’inspiration, elle, reste intouchable et vraiment exceptionnelle.

 

La valeur de l’exception

Au delà de l’aspect purement nostalgique, nos regrets pour Pastore doivent nous faire réfléchir à ce qui est réellement extraordinaire. A l’heure des réseaux sociaux, chaque week-end nous offre des tonnes d’images de football accompagnées de superlatifs hyperboliques à souhait… qui seront toutes oubliées dans l’heure. Une contradiction évidente qui montre que l’envie d’exceptionnel ne suffit pas à en créer et que des frappes de loin, c’est beau, mais on en voit chaque semaine.

L’emballement des mots, des qualificatifs, crée une égalité qu’il faut combattre. Si tout est au même niveau alors plus rien ne compte vraiment et nous devenons ce que Bret Easton Ellis pourrait appeler des « Football Psychos ». Indifférent à tout, comme Pat Bateman l’anti-héros cannibale de son roman American Psycho, nous regardons le sublime et le passable avec le même degré d’attention. Notre relation au foot devient « un quartier d’isolement, qui ne sert qu’à mettre en évidence cette fracture, cette mutilation de (notre) capacité à ressentir »  comme le dit si bien Bateman au sujet de sa relation « amoureuse » avec Evelyn.

Notre attention, accaparée par des apparences ou des gestes qui n’ont que peu d’intérêt, se détourne souvent de ce qui compte vraiment chez un joueur. Bateman peut ainsi détailler les marques et le prix des vêtements portés par chaque personne qu’il croise en les jugeant sur leur capacité à obtenir une bonne table dans un restaurant huppé mais s’avère souvent incapable d’être sûr de leurs noms. L’amateur de foot fait la même chose quand il regarde ces vidéos qui montrent une action (pas forcément un but) d’un joueur sans tenir compte du reste du match. Loin de mettre en valeur le joueur elles l’enferment dans un football attendu par l’époque et le range aux cotés des centaines d’autres qui auront eu l’honneur pervers d’un buzz. Cela participe à l’uniformisation d’un football joué parfois plus par conformisme que par amour du jeu.

Pastore est l’antidote absolu à cette dérive : il ne donne rien ou presque de ce que le foot ultra-moderne attend, il continue seul à parler une langue quasi-morte dans notre sport, il est 10 quand plus personne ne l’est.

 

Lawrence Elvidge

Paris United

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