Nasser Al-Khelaïfi : Le portrait
Durant plusieurs semaines, notre journaliste Clément Pernia a enquêté pour dresser le portrait du président parisien Nasser Al-Khelaïfi. Au terme de plusieurs entretiens et interviews, il a pu dresser le portrait le plus juste et complet du dirigeant qatarien. Portrait à retrouver au complet dans Révélations d’une révolution – épisode 2, en voici un extrait :
L’homme n’est pas commun. Rien ni personne ne pouvait envisager un tel itinéraire pour ce fils de pêcheur, issu d’un milieu modeste, dont rien ne laissait présager qu’il serait un jour l’un des principaux dirigeants du football mondial. Caractérisé dès son plus jeune âge par cette ambition à la fois étonnante et remarquable, le Nasser « modeste » a rapidement laissé place à un professionnel aguerri, omniprésent. Un homme aux multiples casquettes. Voici l’histoire d’un homme bien singulier, d’une aventure bien singulière, celle de Nasser Al-Khelaïfi.
Un destin royal
Ce Nasser Al-Khelaïfi est une anomalie. Quelque chose qui n’aurait jamais dû exister. Le fruit de beaucoup de travail certes, mais surtout de rencontres opportunes, de circonstances favorables et d’un environnement chanceux. Non né de sang royal, Nasser est issu d’une famille « normale » décrit-il. Jeune, c’est dans le tennis que le qatari décide de se lancer. Il ne le sait pas encore, mais la petite balle jaune fera basculer son destin. Tennisman depuis ses 11 ans, il se hissera jusqu’au 995ème rang mondial à l’ATP. C’est grâce à cette discipline que Nasser Al-Khelaïfi rencontre durant son enfance Tamim Al Thani, aujourd’hui Emir du Qatar. Les deux hommes se nouent progressivement d’amitié, évoluant même ensemble en équipe nationale du Qatar. « Nasser n’était pas destiné à en arriver là. L’Emir Tamim agit par impulsion, par amitié, ce qui a fait que Nasser ait autant de responsabilités. Tamim a essayé de le positionner le plus haut possible dans la hiérarchie sociale » nous explique Antonio Amaniera, responsable du site World News Medias, dédié aux pays du Golfe. Yerima Téni, qui a exercé pendant plus de dix ans au poste de consultant pour le comité olympique du Qatar, va même plus loin : « Nasser doit une grande partie de son ascension à son amitié avec l’Emir. C’est quelqu’un de très attachant, il sait s’entourer. » assène-t-il.
Les années 1990 marquent un tournant dans la vie de Nasser. En 1995, Nasser s’entraîne dans un club près de Nice, et rencontre Thierry Morano-Fourès, un homme d’affaires français. Il devient son ami et lui explique en 2003 que les qatariens veulent créer une chaîne sportive. Titulaire d’un diplôme d’économie à l’Université de Doha, Nasser s’associe avec le Français et le collaborateur de ce dernier, Ivan Blum, afin de créer Al-Jazeera Sport en Novembre 2003. Les hommes passent du temps ensemble, notamment sur les yachts de la Côte d’Azur. Nasser apprend, s’entoure (ses associés lui présentent à l’époque Sophie Jordan, LA femme de confiance de Nasser aujourd’hui et directrice adjointe de BeIN Sports) et multiplie rapidement les fonctions. Président de la Fédération de tennis du Qatar et du fond d’investissement Qatar Sports Investments, Nasser Al-Khelaïfi prend les rênes du PSG en 2011. Ces fonctions ajoutées aujourd’hui à la présidence de BeIN Media Group et la vice-présidence de la fédération asiatique de Tennis font de lui la « vitrine de la diplomatie sportive qatarie » comme le précise Nabil Ennasri, directeur de l’Observatoire du Qatar. « Nasser est constitutif du projet du PSG lequel est constitutif de la diplomatie sportive du Qatar pour laquelle la famille royale a beaucoup investi » ajoute-t-il.
Aujourd’hui résident du 16e arrondissement de Paris, Nasser porte le PSG et Paris au plus profond de son coeur, une ville qu’il appréciait déjà beaucoup auparavant. Il n’hésite d’ailleurs pas à clamer son amour aux anciens joueurs de la capitale. « Il adore ce club, il m’a dit que Paris était son club. Il en est amoureux. Il nous l’a dit » affirme Patrice Loko, champion d’Europe en 1996 avec le PSG. Preuve de cet attachement, le président parisien a beaucoup souffert de la défaite à Barcelone le 8 mars 2017. « Ce match l’a complètement bouleversé, ça l’a profondément affecté » nous indique Hafid Derradji, proche de Nasser depuis 2008 et travaillant à BeIN Sports. Adepte des bons endroits de la capitale, Nasser n’en oublie pas moins d’où il vient. Lorsqu’il rentre à Doha, Nasser joue au tennis, va à la mosquée et aime se rendre dans les Majlis, ces endroits où l’on aime se réunir entre hommes afin de discuter, de refaire le monde, autour du folklore musical ou culinaire.
Le Qatarien sait aussi accueillir. Le président de l’ASSE, Bernard Caïazzo nous confie cette anecdote : « Il y a quatre ans, j’ai été à Doha avec ma fille qui travaille chez Asics pour un tournoi de tennis début Janvier. Je n’ai rien voulu dire à Nasser car je ne voulais pas le déranger. A mon arrivée à l’hôtel, on m’a expliqué que j’étais l’invité de Nasser et que je bénéficiais d’une suite. Je ne sais pas comment il l’a su mais c’est toujours la grande classe. Nasser m’a fait ensuite savoir que le sens Qatari de l’accueil ne peut pas être transgressé car c’est pour eux un mode culturel ».
Un homme simple donc, mais un grand professionnel.
Un professionnel acharné
Il est trois heures du matin. Nasser ne dort pas. Le dirigeant Qatari réfléchit, répond à ses messages Whatsapp. Il est partout à la fois, vous savez, le bon moyen d’être nulle part. Il ne se repose pas, ou peu. Ces mots ne sont pas ceux d’un début de roman, ils sont tout sauf une fiction. Nasser est sur tous les fronts. Le sien lui est crispé. Nasser est quelqu’un d’anxieux. Son visage en tribune apparaît très souvent tendu. Nasser vit plutôt mal les matchs du PSG. Constamment sous pression, il s’en sort plutôt honorablement nous confient les personnes interrogées.
Le président parisien est un bourreau de travail. Jamais il ne s’arrête. « C’est quelqu’un qui, quand tu lui envoies un message à 4 heures du matin, il te répond à 4H01 maximum. Il ne dort pas. Nous à BeIN, on a l’impression qu’il est toujours près de nous » ajoute Hafid Derradji. Capable d’enchainer 10 à 15 voyages dans la semaine et d’assurer un nombre de meetings impressionnant, Nasser parvient pourtant à répondre présent physiquement et mentalement. « Nasser est quelqu’un de très impliqué dans toutes les strates du PSG. C’est un président qui, lorsqu’il est là, veut absolument tout savoir. Lorsqu’il arrive à la Factory (le siège du PSG), il va dans tous les services, il prend le responsable et fait le point. Nasser n’hésite pas à observer ce qui se fait ailleurs, dans les autres stades notamment pour s’en inspirer. Il observe de manière très précise, de la buvette aux caisses pour voir si la queue est longue etc. » nous confie un très proche du président parisien, avant d’ajouter : « Concernant le fonctionnement du club, il est constamment à la recherche de nouveauté et d’innovation afin que le PSG soit à la hauteur des plus grands d’Europe. C’est quelqu’un qui a une mémoire de dingue. C’est impressionnant, notamment au sujet des discussions qui concernent des chiffres. Une sorte d’hypermnésie à la Sarkozy». Un autre domaine dans lequel le président parisien s’est impliqué personnellement, le retour des Ultras au Parc des Princes. Malgré les fortes réticences des autorités et le refus initial du gouvernement français, Nasser n’a jamais lâché, tous comme les Ultras, afin qu’aujourd’hui le Collectif Ultras Paris anime de manière remarquable la tribune Auteuil.
Ce qui caractérise le président parisien, c’est également son respect et sa loyauté envers l’Emir Tamim Al Thani, son ami mais aussi et surtout son supérieur hiérarchique. C’est ce dernier qui prend les grandes décisions au Paris Saint-Germain. Lui possède à l’origine une vraie connaissance du football, contrairement à Nasser. Le président parisien l’a bien compris, faisant aussi sa force. L’éviction de Laurent Blanc, la nomination de Tuchel et tant d’autres choix sont pris par l’Emir, conseillé par des proches dont le « monsieur football » au Qatar, Khalifa Khamis entre autres. Tamim et Nasser n’en restent pas moins très proches. Nasser est l’homme à tout faire de l’Emir, le Doug Stamper du président Underwood. « Pour Tamim, le football est fondamental. Nasser est son homme de confiance. Ils travaillent en symbiose mais c’est l’Emir, le vrai boss du PSG. Le président parisien a beaucoup appris de la France. C’est un pays compliqué avec notamment un Qatar-bashing important mais il s’est bien intégré au paysage » nous confie Christian Chesnot, journaliste au service étranger de France Inter et spécialiste du Moyen Orient. Hafid Derradji prolonge l’analyse : « Je pense que l’investissement que les qataris ont fait au PSG était aussi un investissement envers Nasser Al-Khelaïfi. Le Qatar a investi en un homme et un gestionnaire » explique-t-il.
Beaucoup travailler n’est pas forcément gage de réussite. Le travail, la loyauté ne suffisent pas à s’adapter à un nouveau pays, à de nouvelles instances, à un nouveau monde. Nasser lui, a parfaitement géré son intégration. Il est un homme politique après tout. A la fois businessman et une sorte d’ambassadeur du Qatar en France, le Qatarien a su s’adapter et se faire une place dans le monde du football. « Nasser est le contraire d’un homme arrogant si bien qu il a été très facile de l’intégrer. Il a l’image d’un grand patron car il est pédagogue, ne se met jamais en colère et ne fait pas aux autres ce qu il ne veut pas qu’on lui fasse. Je l’ai vu une seule fois en colère en Conseil d’ administration, c’était face à Jean-Michel Aulas. Il a la volonté de faire progresser le football français en terme de compétitivité par rapport aux autres grands championnats. Sa vision dépasse l’hexagone et même l’Europe » nous précise Bernard Caiazzo. Le président du PSG sait convaincre. Didier Quillot, directeur général de la LFP expliquait ceci au micro de la chaine l’Equipe : « C’est quelqu’un qui vous dit les choses entre quatre yeux quand il a quelque chose à vous dire. Il dit les choses. Il a l’intelligence de le dire en one to one ».
Si Nasser a su s’intégrer au football français, c’est également le cas à l’échelle continentale. Très proche du président madrilène Florentino Pérez notamment, le dirigeant qatari sait faire entendre sa voix, comme ce fut le cas il y a quelques semaines à l’occasion du tirage au sort de la Ligue des Champions. Nasser Al-Khelaïfi a vivement réprimandé durant près de cinq minutes le président de la Ligue de football espagnole, Javier Tebas, après que celui-ci ait allumé la mèche. Ce dernier a d’ailleurs été invité à se taire par un dirigeant de l’UEFA, jugeant qu’il avait trop parlé. Un poids important donc, et une importance justifiée en 2017 par le magazine « Gulf Business » qui plaçait Nasser Al-Khelaïfi en troisième position des qatariens les plus influents. Beau classement pour un homme aux objectifs illimités.
« Rêvons plus grand ». Telle est la devise du PSG. Nasser est un rêveur, depuis longtemps. Mais les rêves laissent parfois place à une dure réalité.
Portrait réalisé par Clément Pernia, à retrouver au complet dans Révélations d’une révolution – épisode 2