Covid-19 : PSG et pertes de valeur
Dans un rapport intitulé « Player value not immune to pandemic », ou « La valeur des joueurs n’est pas immunisée face à la pandémie », publié le 6 mai 2020 par la branche Football Benchmark de KPMG (téléchargeable ici), nous apprenons sans surprise que la valeur des joueurs de football professionnel est en chute libre. Le sujet est assez complexe, nous allons tenter de l’expliquer de la plus simple des manières.
Notions préalables
La première question que l’on est en droit de se poser est de savoir ce qu’est la valeur d’un joueur, ce qu’elle représente et par quoi elle est déterminée.
Pour faire simple, la valeur d’un joueur représente sa valeur marchande. Cela sonne comme une évidence mais c’est bien plus compliqué. En réalité, il existe un très grand nombre de facteurs pour déterminer de la valeur d’un joueur. Une liste non exhaustive : l’âge, la nationalité, le poste, le nombre de buts marqués, le nombre de passes décisives, par quel(s) club(s) il est passé, les contrats publicitaires … Cet amas d’indicateurs va définir une sorte de « valeur intrinsèque », liée donc à un athlète et cela sera traité et interprété par les organismes de cotations. KPMG Football Benchmark ou encore Transfermarkt constituent deux organismes reconnus mondialement dans ce domaine.
Conclusion : il vaut mieux être jeune, très fort à son poste et avoir subi peu (voire aucune) blessure pour jouir d’une belle cote. Ce dernier facteur est très important – pour ne pas dire primordial –, puisque des joueurs très talentueux se retrouvent malheureusement avec de faibles valeurs marchandes.
Outre les blessures, les contrats publicitaires sont aussi un important facteur de valorisation. Si aujourd’hui Neymar Jr est, selon le classement de l’étude, le deuxième joueur le plus cher du monde derrière Kylian Mbappé, c’est en partie dû au fait – sans compter son talent balle au pied – qu’il est ce qui s’apparente le plus à une « marque vivante », le joueur le plus bankable qui soit avec son compère français. Un autre facteur important : l’âge. Le talent, le professionnalisme et l’image de marque de Cristiano Ronaldo sont indiscutables. Pourtant, il ne figure pas parmi les joueurs les plus chers à l’heure actuelle.
En résumé, les valeurs des joueurs de football professionnels sont définies avec une multitude d’indicateurs qui peuvent varier ou donner des interprétations différentes. L’utilité de ces cotations est de donner une fourchette/un ordre de grandeur des prix sur le marché. Comme tout marché qui se respecte, les valeurs ne sont jamais fixes et toujours négociables. C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas confondre les notions de prix et de valeur. Le prix est négocié, la valeur est intrinsèque. C’est la raison pour laquelle il existe des différences entre ce que l’on voit sur les sites de cotations et les transferts réels. Tout cela est donc à prendre avec des pincettes.
Après ces quelques éclaircissements, passons à l’étude.
Hausse pandémique, diminution des valeurs
Le rapport de KPMG Football Benchmark défini sa méthodologie selon deux scénarios : l’arrêt pur et simple de la saison ou la fin de saison à huis clos. Le premier étant le plus catastrophique, tant sur le plan sportif qu’économique, puisque cela implique de lourdes et irrécupérables pertes pour les clubs, à moins qu’il y ait de fortes renégociations salariales. Le second, le « best case », implique une diminution des revenus, où l’on « sauve les pots cassés » puisqu’à l’heure actuelle, il n’y a pas d’autres meilleures options. Précision importante : les deux scénarios sont homogènes. Cela veut dire que dans un cas ou dans l’autre, l’ensemble des ligues se comporteront de la même manière et ce quel que soit l’état actuel des différentes compétitions.
Il va y avoir ensuite ce que l’on appellera les « facteurs clés », soit les principaux critères de cotation. Nous allons les définir et ce qu’ils impliquent.
Premièrement, l’impact sur les situations financières des clubs et l’estimation de la baisse des revenus. En d’autres termes, pour définir la perte de valeur des joueurs, l’étude se base sur ce qu’ont perdu les clubs en question. Par exemple selon ce seul critère et avec deux joueurs de valeurs plus ou moins équivalentes, celui qui s’en sortira le mieux sera celui qui aura évolué dans le club qui aura subi le moins de pertes économiques. Depuis le mois de février dernier, Kylian Mbappé verra sa valeur marchande chuter de 21,5% si la saison est annulée (16,6% si la saison se termine à huis clos). Cette perte est colossale, mais bien moins que s’il était dans un club en plus grande difficulté financière.
Le second facteur clé de l’étude est la durée de « repos forcé » des joueurs. Le football est un sport très physique. Passé cette évidence, il est donc normal que l’état de forme des joueurs soit impacté, malgré les programmes personnalisés qu’ils reçoivent. Comme les entraînements ne sont plus aussi intensifs, les athlètes sont fatalement moins performants. Plusieurs choses l’expliquent, notamment les conditions d’entraînements. Finalement, nous sommes tous égaux sur un point : en confinement, nous profitons de nos proches, il y a un relâchement physique (et psychologique) ce qui est parfaitement humain. Il s’agit d’un facteur très pragmatique, qui donne plus de sens et de qualité à ce rapport.
Enfin, le troisième facteur va concerner ce qu’ils appellent les « opportunités manquées de montrer ses talents » en vue de potentiels transferts. Les meilleurs joueurs – ou au moins les meilleurs potentiels – sont régulièrement pistés par les agents et les clubs. Il est donc logique qu’en temps d’arrêt des compétitions les ouvertures soient amoindries. De nouvelles opportunités verront le jour lors de la reprise des entraînements collectifs et des matches de Champions League qui devraient reprendre en été.
Que serait une étude de KPMG sans quelques chiffres ?
Joueurs, ligues, clubs … des chiffres clés
Parlons classements, parlons chiffres. La suite de l’étude va concerner les pertes de valeurs selon trois types d’entités : le top 20 des joueurs les plus chers, les dix principaux championnats et enfin les vingt principaux clubs européens, dont la Süper Lig turque.
Sans surprise, Kylian Mbappé et Neymar Jr se classent respectivement premier et deuxième de ce classement. Il existe six critères dans celui-ci : le club actuel, l’âge, le nombre d’années restant de contrat, la valeur estimée en euros en février 2020 et enfin les diminutions de valeurs selon les deux scénarios évoqués précédemment. Ils sont par ailleurs les seuls joueurs du Paris Saint-Germain figurants dans le top 20. Selon les deux scénarios, les attaquants passeraient de 225 et 175 millions d’euros à 177 et 137 millions d’euros selon le premier scénario, 188 et 149 millions d’euros selon le second scénario. On constate donc une perte minimale de 16,6 et 14,7% et une diminution supplémentaire allant d’environ 5 à 7% dans le « worst case scenario ». Cela peut paraître peu, mais ici on parle de centaines de millions d’euros. Le moindre pourcentage a son importance. À titre d’exemple, Lionel Messi et Eden Hazard – respectivement 7ème et 11ème au classement – sont les joueurs qui souffrent le plus de la baisse de cotation dans ce top 20. Notons aussi que par ailleurs il n’y avait que 15 joueurs qui avaient une valeur de plus de 100 millions d’euros en février 2020. Pour le scénario 2, le « best case », il n’en restera plus que 11 et 8 dans le pire des cas.
En ce qui concerne les principales ligues européennes, il y a beaucoup de choses à dire. Premièrement, la perte moyenne de valeur des dix championnats est estimée à 26,5%. Si l’on prend uniquement le « Big Five » qui est composé des championnats français, espagnol, anglais, allemand et italien, on constate une perte de 26,4%. Une différence donc de 0,1% si l’on considère uniquement 5 des 10 championnats. Qu’est-ce que cela signifie ? Dans un premier temps, il va sans dire que le Big Five porte bien son nom, puisqu’il rend à lui seul les pertes de cinq championnats presque négligeables, une véritable hégémonie. Cela ne veut en aucun cas dire que les autres championnats sont mauvais, il s’agit d’une différence de médiatisation et donc de nombre de stars dans le championnat. Pour le dire autrement, les pertes sont plus ou moins identiques d’une ligue à une autre. La seule différence réside donc dans les valeurs de base de celles-ci. Par exemple, la Serie A qui est 5ème au classement du Big Five et des dix principales ligues a une valeur estimée en février de 5,72 milliards d’euros contre 1,212 milliards d’euros pour l’Eredivisie, la ligue hollandaise, 6ème au classement.
Enfin, dernier type d’entité, les vingt principaux clubs. L’équipe du Paris Saint-Germain est classée à la septième place, avec une valeur de départ de 934 millions d’euros. Selon le pire scénario, cette valeur passerait à 696 millions d’euros (baisse de 25,4%) et selon le meilleur, 765 millions d’euros (baisse de 18,1%). Dans ce classement, c’est le FC Barcelone qui souffre le plus de la perte de valeur. Si l’on devait y apporter un point de vue critique, on pourrait dire que ce classement pourrait être biaisé du simple fait que l’effectif d’un club à un autre est (radicalement, parfois) différent. Est-il réellement pertinent de comparer un club qui a plus de 30 joueurs à un autre qui en a près de deux fois moins ? D’autres indicateurs comme la valeur moyenne des joueurs pourraient affiner ce résultat. Ce qui est frappant ici c’est de voir notamment la prédominance de la Premier League par rapport aux autres. Le PSG qui est le seul club de Ligue 1 au classement s’en tire finalement plutôt bien. À noter qu’encore une fois les pertes en pourcentages sont globalement les mêmes, autour de de 25 à 26% dans le pire des cas et autour de 16 à 17% dans le meilleur. Preuve donc que la crise sanitaire touche absolument tout le monde et ce dans des proportions inédites.
Ce qu’il faut retenir de cette étude : les clubs de football professionnels vont subir de lourdes pertes. Cela reste à mettre en perspective puisque tous n’ont pas les mêmes moyens. Bonne nouvelle du côté du club de la capitale, il s’agit selon les chiffres d’un des clubs qui s’en sort le mieux, notamment grâce à la forte valorisation de son effectif. Preuve en est que sans le Paris Saint-Germain, la Ligue 1 aurait littéralement coulé mais figurerait très certainement dans le top 10 des principaux championnats.
Les temps à venir vont être durs pour le monde du football, mais les rouge et bleu devraient s’en sortir.
Source : KPMG Football Benchmark
Crédit photos : Florence Pernet